
Du 7 au 16 Novembre 2014, le Forum des Images (Paris) présente le cycle Un état du monde… et du cinéma, faisant notamment un passage sur le cinéma japonais post-Fukushima, l’opportunité de (re)découvrir certains films sur grand écran, en présence de leurs réalisateurs ! Rencontre ici avec Laurence Briot, qui s’est occupé de la programmation de cette thématique.
# PRÉSENTATION
L’idée depuis le début c’est d’essayer pendant 10 jours de construire des correspondances entre le cinéma, la politique, l’actualité et des questions de géopolitiques. Tous les ans, on change de pays, de parrains, c’est-à-dire un cinéaste honoré lors d’une rétrospective ou une personnalité politique autour de laquelle se construit un programme.
Chaque année, nous avons un pays de prédilection auquel nous consacrons huit films, et à côté, un focus sur un pays lié à l’actualité la plus récente. D’ailleurs, ce focus est le dernier élément décidé afin de pouvoir se caler sur l’actualité. Pour exemple, il y a deux ans, notre focus portait sur la Syrie, l’année dernière, c’était l’Egypte, suite aux évènements du printemps. Cette année, c’est l’Ukraine.
En complément, tous les soirs nous proposons une avant-première d’un film prochainement distribué en France. Avec toujours au coeur, des questionnements politiques, de société… Et depuis l’année dernière, nous avons eu l’envie de nous pencher sur la bande-dessinée, de voir comment elle s’approprie ce genre de questions. Puisqu’il y a essor de cette approche, qui a commencé surtout avec des sujets historiques et qui fait maintenant place à des reportages, car même des journalistes se mettent à raconter leurs histoires sous forme dessiné. Cela rejoint notre idée d’un état du monde, qui est de regarder le monde d’une manière un peu décalé, mais réaliste, par le regard des artistes. Cette subjectivité permet de partir de trajectoires personnelles pour mieux réussir à faire intéresser des gens à des questions concernant des pays lointains qui, à priori, ne les intéressent pas.
Enfin, la mise en place l’année dernière d’un pass 15€ permet aux spectateurs de pouvoir vraiment profiter du festival, d’où une fréquentation en augmentation.
# CINÉMA POST-FUKUSHIMA
Fukushima, c’est un repère. Au départ, nous avions pu remarqué que depuis Fukushima, des artistes plasticiens s’étaient lancés dans des interventions, des installations un peu coup de poing. Par ailleurs, lors du Cinéma du Réel, nous avions vu ce documentaire, Campaign 2, qui nous a amener à penser qu’il se passe quelque chose du côté du cinéma japonais. Il faut dire qu’en Europe, la visibilité de ce cinéma là est réduite, il y a une différence entre ce qui sort au Japon et ce qui nous arrive. Donc, nous avons une vision du cinéma japonais limité, pensant qu’il y a uniquement le cinéma de genre, d’horreur ou intimiste comme les films de Kore-Eda. Ce qui nous amène à croire que ce n’est pas un cinéma politique, c’est curieux. Évidemment, en cherchant un peu, nous trouvons des films inédits en France, et beaucoup de titres difficiles à montrer car compliqué en termes de coût (le sous-titrage). Nous sommes vraiment partis dans cette idée là, aller au-delà des cinéastes connus par chez nous.
Malgré tout, comme nous sommes grand public, nous avons gardés quelques noms connus qui servent de repère aux yeux des spectateurs. Parce que le cinéma japonais reste peu connu en dehors des cercles d’avertis. Il y a bien le cinéma d’animation, des films d’horreur ou un Sion Sono…
D’autre part, ce qui m’a directement interpellé, c’est d’avoir appris que depuis les années 90, le cinéma japonais est en plein déclin, que même un Kiyoshi Kurosawa a du mal à financer ses projets. Qu’il n’y a plus de souffle, que les vieux rebelles comme Koji Wakamatsu sont morts.
Je ne suis pas spécialiste du cinéma japonais, et en me renseignant sur le sujet, j’ai compris que la situation est difficile là-bas, les petits films ont des difficultés à sortir par exemple. Nous reviendrons là-dessus lors de la table ronde d’ailleurs, Terutarô Osanaï sera présent, il avait écrit un article très complet dans les Cahiers du cinéma, décrivant cette situation. Le système de financement du cinéma japonais est pervers, car pour obtenir des financements supplémentaires il faut déjà avoir un certain budget. Alors les films à petit budget sont obligés de se financer par la débrouille.
Terutaro Osanaï citait dans son article cinéaste Katsuya Tomita, dont le film Saudade avait été montré et récompensé au Festival des 3 Continents à Nantes en 2011. Soit l’année de Fukushima, mais ce n’est pas le sujet du film. Tomita apparaissait comme l’un des rares cinéastes japonais à être vraiment en colère, avec un côté rebelle et politique, ce qui nous a intéressé car c’est ce que nous cherchions.
Il faut dire que lorsque nous travaillons sur des cinématographies lointaines, nous avons tendance à calquer des modèles. Nous savions qu’il y avait une colère qui grondait au Japon, que les gens commençaient à critiquer le gouvernement, à sortir de leur politesse habituelle… Il faut aussi comprendre la pensée japonaise, la manière d’être en colère à la japonaise qui n’est pas forcément la passivité comme nous l’imaginons. Le sociologue Jean-François Sabouret développera cet aspect lors de la table ronde, dans ses articles, il parle de fatalisme actif en disant qu’on ne peut pas dire que les japonais ne font rien, ni qu’ils se mettent à manifester poing levé dans la rue. Ils ont une manière à eux de critiquer, de s’opposer.
Parfois, nous partons avec idées préconçues sur les pays, par exemple, avec Fukushima, nous nous questionnions sur la façon de réagir des Japonais. Et puis, nous regardons un documentaire (Campaign de Kazuhiro Soda) dans lequel ils semblent être très en colère. C’est intéressant. Après avoir fait un tour plus vaste du sujet, nous nous rendons compte qu’il faut nuancer ce propos, et je pense que c’est une démarche intéressante pour le grand public. De se dire qu’il y a des gens en colère comme Katsuya Tomita ou Kazuhiro Soda, qu’à côté, il y a un Koji Fukada qui, sans être frontalement politique, aborde l’air de rien un arrière fond très politique, et bien d’autres… Il y a une diversité dans la réaction.Du côté de Sion Sono, choisir Himizu plutôt que Land of Hope s’explique pour deux raisons très pragmatiques. Land of Hope a été présenté en avant première dans notre cycle l’année dernière, ça nous gênait de le remontrer même si tout le monde ne s’en souvient pas forcément. Mais surtout, après notre festival, le Forum des Images organise un cycle intitulé Contamination, qui va beaucoup parler du nucléaire. Et puis Land of Hope, je me suis dit qu’il avait quand même été bien montré, ce qui n’est pas le cas d’Himizu, c’est un film peu connu, qui n’a pas été distribué, c’est d’ailleurs assez étonnant. Je sais qu’il y a des amateurs de Sono Sion, donc il sera repéré. Au final, nous avons fait un mélange entre des films connus et moins connus. Comme le programme est court, il faut faire un choix drastique.
Entretien réalisé le 05/11/2014
Merci à Laurence Briot, Estelle Dumas