Tous les 1000 ans, la planète Râ Metal frôle la Terre. Tous les 1000 ans, une reine est envoyée sur notre planète pour veiller sur elle en secret.
Mais le prochain passage de Râ Metal risque d’être le dernier : son orbite a changé, et elle risque de percuter la Terre.
Dans le cadre du projet Sennen Joō, sort en 1982 un film d’animation connu à l’international sous le titre Queen Millenia, et rebaptisé Princesse Millenium en France. Ce alors que le personnage central ne se fait jamais appeler « princesse », mais toujours « reine ».
Pendant que j’y suis, pourquoi ne pas dire quelques mots sur cette version française ? La VHS fût éditée en 1985 – soit plusieurs années avant l’arrivée de la série télévisée – dans une collection apparemment dirigée par Christophe Gans, et son doublage présente la particularité de reprendre les noms japonais d’origine. Ce qui nous permet de constater que, dans le fond, ce n’est peut-être pas un mal que ces noms aient longtemps été francisés ou américanisés à la télévision française : en effet, les comédiens se montrent incapables de les prononcer correctement, transformant notamment « Hajime » en « Ajim »… Dans l’ensemble, le doublage français aurait largement pu être meilleur, les deux interprètes principales ont beau être des professionnelles réputées – Joëlle Guigui fût quand même Bart Simpson pendant près de 20 ans avant de prendre sa retraite – elles peinent à convaincre, comme si elles étaient mal dirigées, et la traduction s’avère à ce point hasardeuse que plusieurs points du scénario deviennent incompréhensibles. Nous privilégierons donc le doublage d’origine.
Cette parenthèse fermée, revenons au long-métrage. A l’instar de ceux de Galaxy Express 999 (Ginga Tetsudo 999) et de The Super Dimension Fortress Macross (Chô Jikyû Yôsai Macross), il ne s’agit pas d’une suite mais d’une version alternative.
La question que nous pouvons légitimement nous poser, c’est comment passer d’une série de 42 épisodes focalisée sur son scénario, à un film de 2 heures ? Le réalisateur Masayuki Akehi évacue le problème. L’intrigue, ce n’est pas ce qui le préoccupe le plus ; il conserve les thèmes du récit, ses grandes lignes directrices – même si légèrement remaniées – mais survole nombre d’aspects importants, comme la mort des parents de Hajime, les origines de Râ Metal, ou les liens complexes qui unissent Yukino et sa sœur. Pour les détails, il faudra donc se pencher sur la série télévisée, et il sera demandé au spectateur soit de déjà connaitre celle-ci, soit de ne pas trop chercher la petite bête, sous peine de passer à côté de ce que Princesse Millenium veut nous raconter, ce qui serait extrêmement dommage.
En effet, ce long-métrage va jouer sur deux éléments qui lui sont propres : son fatalisme et son esthétisme.
Le fatalisme apparait comme un étrange constante du cinéma d’animation japonais de l’époque. Que ce soit Nausicaä de la Vallée du Vent (Kaze no Tani no Nausicaa), Uchû Senshi Baldios, The Ideon, ou The Super Dimension Fortress Macross – Do You Remember Love ? (Chô Jikyû Yôsai Macross – Ai Oboete Imasu ka), tous ces films dépeignent un univers post-apocalyptique, voire l’apocalypse elle-même, souvent d’origine écologique, signe d’un pessimisme effarant chez les créatifs nippons du début des années 80.
Princesse Millenium ne fait pas exception avec ses scènes de destruction dantesques et ses milliards de victimes. Même si le réalisateur évite de tomber dans le sordide en insistant sur les pertes humaines, il ne fait pas dans la dentelle pour autant pour aboutir à une humanité décimée et aculée.
Je reviendrai plus tard sur la musique, mais son utilisation apporte un aspect irréel foncièrement déstabilisant à toute cette folie.
Son esthétisme, c’est l’autre particularité de ce long-métrage. Une fois le scénario évacué par le réalisateur, il peut se consacrer à l’aspect auquel il porte le plus d’importance : des scènes purement contemplatives, à l’image d’une séquence d’introduction de plusieurs minutes durant lesquelles il ne se passe strictement rien. Que ce soit dans le réveil des habitants de Râ Metal, la découverte des environnements urbains, et même des batailles spatiales qui évoluent en ballet aérien, Masayuki Akehi se fend de passages à l’esthétisme poussé, durant lesquels il ne se passe rien de significatif pour l’intrigue pendant de longs moments, sans pour autant que nous puissions parler de longueurs.
Un exploit rendu possible par la superbe bande-son de Kitaro, un compositeur de musique New Age. Ses thèmes évanescents parcourent le film pour lui apporter une identité absolument unique, et même le transformer en œuvre d’art.
Princesse Millenium est un long-métrage jouant avant tout sur l’émotion brute, plus que sur un scénario construit. Les graphismes sont plus élaborés que pour la série télévisée, notamment car il remplace les environnements crédibles de 1999 par une architecture beaucoup plus futuriste. L’important, ce sont avant tout son drame et son apocalypse, sublimée par l’approche purement artistique du réalisateur et la musique envoutante du compositeur, un choix osé mais qui fonctionne à merveille.
Il se dégage de ce film une atmosphère unique, et il s’agit sans aucun doute d’un des plus émouvants qu’il m’ait été donné de voir. A chaque fois (même en VF), cela ne manque pas, j’y vais de ma petite larme. Les événements sont tellement impressionnants, les personnages tellement beaux, les thèmes abordés tellement forts qu’ils ne peuvent laisser indifférents que les cœurs de pierre. Princesse Millenium est une œuvre folle, étrange, et qui possède le mérite de ne ressembler à aucune autre. Sa seule limite, c’est qu’elle demande au spectateur d’oublier le scénario quelques instants et de se laisser transporter par cette expérience atypique.