Dernièrement, je repensais à ce texte sur les rapports humains dans un magasin spécialisé, et à une expression en particulier : « nier la qualité de vendeur ». Dans ce contexte, cela s’applique à des clients qui achètent peu voire pas du tout, mais qui discutent beaucoup avec le personnel ; partant du principe que s’ils travaillent dans un tel endroit, c’est forcément que le sujet (en l’occurrence les manga et l’animation japonaise) les passionne. Cela revient à nier que leur fonction première n’est pas de discuter, mais de leur proposer un service commercial avec comme objectif final de leur vendre un produit.
Se faisant, je me suis posé la question : qu’est-ce que j’attends des librairies que je fréquente et des personnes qui y travaillent ? Et je suis le premier surpris par le résultat.
Depuis que je lis des manga, aucun libraire ne m’a conseillé un manga. Il faut dire que je ne leur ai jamais demandé, et je suppose qu’ils savent détecter si un client souhaite ou non être aiguillé.
Si je devais trouver une raison à ce phénomène, je dirai que c’est parce que j’ai appris à me débrouiller sans eux, et sans internet. Je n’ai visité une boutique spécialisée pour la première fois que fin 2003, alors que je lisais des manga depuis plusieurs années ; auparavant, je me fournissais dans un centre culturel et une librairie généraliste, qui l’un comme l’autre n’en proposaient que pour leur attrait commercial, et certainement pas car le responsable du rayon BD s’y intéressait. Dans ces cas-là, tu fais sans : tu testes avec plus ou moins de succès, tu feuillettes, tu te focalises sur des noms d’auteur ou de séries que tu connais déjà (grâce aux anime), etc…
Tandis que je déménageais pour mes études et découvrais ma première librairie manga, j’avais déjà pris l’habitude de suivre grâce à internet les plannings des séries qui m’intéressaient ; sans parler des nombreux titres que je souhaitais lire (sachant que je n’avais jamais eu accès au catalogue Tonkam en magasin auparavant), j’avais déjà largement de quoi m’occuper sans recourir à des conseils qui n’auraient fait que peser un peu plus sur mon porte-feuille.
A partir de là, ma « technique » est rodée : je sélectionne à l’avance les nouveautés qui m’intéresse, je me rends en magasin, et je repars avec les titres de ma liste. Il est très rare que je ressorte avec un tome dont je n’avais pas prévu l’achat ; dans ces cas-là, il s’agit soit d’un manga dont je n’avais pas remarqué la sortie, soit d’une série que j’avais de toute façon envie de commencer depuis longtemps. A l’extrême rigueur, cela peut concerner une nouvelle licence pour laquelle j’hésitais, mais c’est très rare. Exemple : j’ignorais que Rendez-vous sous la Pluie avait été acquis par un éditeur français avant de le trouver par hasard en boutique. Là, oui, c’est un achat imprévu.
Mais le plus souvent, c’est l’inverse qui se produit : j’arrive pour récupérer des titres spécifiques, et je repars sans. Parce que l’éditeur a finalement décidé de repousser la date de sortie – cela m’est arrivé il y a deux semaines avec Kids on the Slope– ou parce que le libraire ne l’a pas en stock.
Pour le stock, s’il s’agit d’un ancien tome d’une série qui ne se vend pas forcément très bien, je peux comprendre. S’il s’agit d’une nouveauté, c’est rédhibitoire, j’arrête de fréquenter l’établissement. Donc si vous me demandez ce que j’attends de mon libraire, voici la première réponse : avoir à disposition des clients toutes les dernières nouveautés.
Attention, si je viens plusieurs jours après la sortie et qu’il me répond qu’il a tout vendu, bon, j’accepte. Mais cela n’arrive jamais, pour une bonne raison : je me rends en magasin le jour de la sortie d’un manga qui m’intéresse. Une habitude. Parfois même la veille, puisqu’ils reçoivent à l’avance les nouveautés pour les mettre en rayon le jour de leur sortie officielle, mais dans ces cas-là, j’appelle avant de me déplacer pour m’assurer de leur disponibilité. Là où les sites internet expédient les manga à leur sortie, plus le délai de livraison. Bref, tout ça pour dire que si je me déplace – je n’habite pas à côté de mes fournisseurs de manga – et que je ne trouve pas ce pour quoi je me suis déplacé, je le prends mal.
Si vous me suivez régulièrement, vous avez dû remarquer que mes goûts couvrent à la fois des blockbusters comme Naruto et des titres aussi confidentiels que Princesse Kaguya. L’avantage d’aller dans une librairie spécialisée, c’est que cela m’assure (normalement) de trouver même les petits tirages ou les éditeurs mal distribués. Et pour vous répondre : non, je ne peux pas leur commander à l’avance, car je bouge beaucoup et que je ne sais jamais où je vais effectivement prendre mes manga.
Au passage, cela signifie que je déteste les librairies spécialisées dans le manga qui consacrent une trop grande surface aux produits dérivés, aux boites à bento, et autres joyeusetés, car j’estime que cela pénalise la place qu’elles peuvent accorder au fonds et aux nouveautés, en d’autres termes à la diversité ; sachant que les premières séries en à en pâtir seront les moins rentables, alors que ce ne sont pas toujours les moins intéressantes.
A part ça, n’oublions pas que nous parlons de commerces, donc il est préférable d’y trouver du personnel cordial. Si je me rends dans un magasin et que j’ai l’impression de déranger le vendeur, je ne risque plus jamais de le déranger, si vous voyez ce que je veux dire… Évidemment, si le libraire m’est sympathique et ouvert à la discussion, c’est encore mieux. Pas obligatoire, mais préférable. Actuellement, compte-tenu de ma localisation, je fréquente surtout une librairie BD et une librairie manga, je n’ai pas d’affinités particulières avec les libraires mais je n’ai strictement rien à leur reprocher ; ils sont affables, m’indiquent où se trouvent les manga que je n’ai pas vu parmi les myriades de nouveautés, parfois j’échange quelques courts instants avec eux, mais cela ne va jamais plus loin. J’estime ne pas être trop chiant comme client.
Par contre, il m’est arrivé de fréquenter deux librairies manga en particulier pour leur propriétaire, dont une qui a hélas! fermé. Eux avaient l’avantage d’être ouverts au dialogue, et dans le métier depuis suffisamment longtemps pour avoir des conversations très riches et beaucoup de choses à raconter ; dans la mesure où je suis de nature curieuse, je ne manquais donc jamais une occasion d’échanger avec eux, du moment que cela ne gênait pas leur travail.
Il m’est même arrivé d’échanger plus que cela : avec l’ami Koiwai (la moitié du chiffre d’affaire à lui tout seul), nous avions monté un centre Pokemon à Manga no Yume. Lorsque je vivais à Lille, je passais beaucoup de temps à cet endroit – ne vous inquiétez pas, j’y faisais de nombreuses emplettes – bien aidé par un emploi du temps pas trop exigeant. Je m’y sentais bien, l’ambiance y était chaleureuse, j’y ai croisé de nombreux autres passionnés, et c’était toujours un plaisir de parler avec Hugues, le libraire.
Un dernier point à noter : l’achat en magasin permet de vérifier le livre avant de passer à la caisse, et cela fournit en cas de pépin un service après-vente plus accessible.
Ne vous y trompez pas : quitte à acheter en magasin, autant en choisir un convivial et à taille humaine, mais je ne suis pas non plus un défenseur acharné du petit commerce. Ce que je dis ici fonctionne car je partage mon temps entre deux grandes villes, mais si le trajet à effectuer pour y aller était trop conséquent à mon goût, j’utiliserais internet. J’y ai déjà recours quand j’estime que je ne pourrai me rendre dans une librairie prochainement, ou pour un article de fonds que je ne trouve pas chez mes fournisseurs, sachant qu’ils ne disposent pas du même espace de stockage ; sans parler des titres que je commande en import. A une époque, j’effectuais même la totalité de mes achats de manga par ce biais, car je ne trouvais aucune boutique à ma convenance ; aujourd’hui, c’est seulement occasionnel.
Pour revenir sur l’absence de conseil – faisant perdre au libraire une part de sa fonction – ce n’est pas quelque chose que je regrette, car j’estime avoir déjà largement assez de séries en cours ou que j’aimerais commencer, et il ne m’arrive que très rarement de regretter mes choix ; mes méthodes de sélection sont parfaitement au point.
Une note amusante pour finir : la dernière fois que je me suis rendu chez mon libraire manga, c’est plutôt moi qui lui ai conseillé Kamakura Diary ; il sort tellement de nouveautés que, alors qu’il adore Banana Fish, il n’avait pas remarqué que Kana venait de publier une autre série de l’auteur. J’espère qu’il aura apprécié cette lecture.
Et vous, où achetez-vous vos manga, et qu’attendez-vous de ces endroits ?