Black Box est un éditeur DVD dont j’ai suivi le parcours avec intérêt, même si j’étais plus client de leurs premiers titres, à l’époque où il s’agissait encore de RG Square et de leur label Black Bones. Maintenant, ils ont décidé de venir gonfler les rangs des éditeurs de manga ; et je viens justement de terminer leur première série : Comment ne pas t’aimer.
Ayumi Fujita débarque à Yokohama pour ses études, mais c’est surtout l’occasion pour elle de quitter le cocon familial et de s’inscrire dans un établissement mixte. Elle s’installe dans une petite pension de famille dont les propriétaires pensent reconnaitre en elle leur fils disparu, et doit désormais cohabiter avec deux filles étranges : Asami et Ikuko.
A l’université, elle fait la connaissance de Narushima, un autre élève, dans des circonstances pour le moins mouvementées.
C’est un pari risqué que fait Black Box en commençant leur carrière dans le manga avec Comment ne pas t’aimer ; en effet, nous ne pouvons pas dire que les shôjo du début des années 80 (celle-ci date de 1983) fonctionnent particulièrement bien en France. C’est d’autant plus valable avec une mangaka complètement inconnue dans l’Hexagone. D’habitude, les nouveaux éditeurs se lancent avec des titres beaucoup plus récents, ou alors avec du Osamu Tezuka, dans la mesure où Tezuka Productions accepte de travailler avec des maisons inexpérimentées et demande peu de droits d’auteur.
Black Box a trouvé une autre solution : piocher sur le site J-Comi, une plate-forme lancée par Ken Akamatsu, proposant des manga en arrêt de commercialisation au Japon et dont les droits ont souvent été récupérés par leurs auteurs. L’éditeur a aussi décidé de s’auto-distribuer, de la même façon que Tonkam à ses débuts, ce qui leur permet apparemment d’être rentable à partir d’un faible volume de ventes (environ 500 exemplaires). Une technique qui devrait donc leur permettre de publier des titres au potentiel commercial limité.
Tout ça, c’est bien joli, mais que pouvons-nous dire de Comment ne pas t’aimer ? En premier lieu, qu’il s’agit d’un titre banal.
Oui, je sais, ce n’est pas forcément un compliment. Mais il faut aussi savoir remettre ce manga dans son contexte : cette gentille comédie romantique du début des années 80 est banale, mais elle appartient à une catégorie bien précise tellement peu représentée en France que, de fait, elle s’impose dores et déjà comme un incontournable. Cette catégorie, et bien c’est justement celle des gentilles comédies romantiques du début des années 80.
Le marché français est ainsi fait que nous trouvons des époques et des genres sur-représentés, là où d’autres restent quasi absents. C’est le cas ici. En soi, Comment ne pas t’aimer n’a rien d’extraordinaire, rien d’exceptionnellement mémorable, mais il s’agit d’un titre sympathique, drôle, et distrayant. Il y aurait de quoi faire une indigestion si nous en lisions trop – un peu comme avec la chantilly – mais cela n’est pas près d’arriver, même si l’éditeur a dores et déjà annoncé deux autres manga de l’auteur.
Comment ne pas t’aimer raconte tout simplement le quotidien d’Ayumi, une Japonaise de 18 ans (donc pas encore adulte au regard de la loi nippone) qui a décidé de déménager pour ses études, mais plus par envie de s’émanciper et de voir le monde que vraiment pour apprendre un métier. C’est d’ailleurs une constante dans nombre de manga : l’université apparait avant tout comme un moyen de profiter de sa jeunesse, une étape dans la vie d’un individu en attendant de reprendre l’affaire familiale, ou de rentrer dans n’importe quelle grande entreprise qui n’aura qu’un lointain rapport avec son cursus scolaire… Étrange de la part d’un pays qui mise tout sur les études. Et d’un autre côté, il parait que les étudiants passent plus de temps dans leur club ou à leur baito qu’en classe, donc ceci doit expliquer cela. Mais je m’égare.
Ayumi, donc, jeune femme qui n’a jamais connu les bonheurs de l’enseignement mixte, se retrouve un peu perdue dans sa nouvelle vie, entourée d’éléments pour le moins excentriques avec qui le contact n’est pas toujours facile. Nous suivrons leurs joies, leurs peines, leurs drames, et surtout leurs amours compliqués.
Ce qui fait la différence, ce sont tout d’abord des personnages bien écrits, rapidement attachants malgré leurs défauts : la candide Ayumi, Hirai le faux dragueur, Asami la gentille peau de vache, Ikuko la bosseuse obsessionnelle, Narushima le rêveur, et un couple de personnes âgées un peu à l’Ouest mais charmants. Plus d’autres qui apparaitront au fil du récit. Et comme ils sont attachants, il devient plaisant de découvrir leurs petites aventures de tous les jours, et les liens qui les unissent les uns aux autres.
Son autre atout, c’est ce style des années 80, qui outre le fait de proposer un témoigne sur la société japonaise, impose à ce titre les spécificités des manga de l’époque. Nous y trouvons des mimiques passées de mode, idéales pour désamorcer une situation compliquée, ainsi qu’une ambiance bon enfant, nostalgique et gentiment rétro, assez unique en son genre et que nous ne retrouvons plus dans la production actuelle. Chaque période a ses modes, ses particularités, et ce qui devait paraitre commun lorsque ce manga a été écrit devient ici un authentique argument de vente.
J’ai trouvé dans Comment ne pas t’aimer absolument tout ce que je recherchais : des personnages touchants, un ton daté mais attrayant, les codes graphiques du début des années 80, et de petites touches d’humour du meilleur effet. Nul doute que je prendrai les autres titres de l’auteur qui ont été dores et déjà annoncés par l’éditeur.
Concernant l’édition elle-même, je dirai que c’est du beau travail pour une première tentative. Le format rappelle celui employé par certains éditeurs américains, mais avec un papier de meilleur qualité. Je n’ai trouvé aucune inversion de bulle ou faute d’orthographe, malheureusement il y a tout-de-même des défauts. Le principal, et pas des moindres, c’est que les scans utilisés par l’éditeur ne sont pas parfaitement nettes, et sur un format plus imposant que celui utilisé habituellement, cela ne pardonne pas ; de nombreux contours apparaissent flous, voire pixelisés, et évidemment ce n’est pas agréable à l’œil ; je ne sais pas d’où peut bien venir le problème, mais cela touche parfois des dialogues pourtant rajoutés pour l’édition française. Cela ne gâche pas la lecture, mais le problème reste visible donc dommageable.
Gageons qu’ils apprendront de leurs erreurs et nous proposerons un meilleur travail par la suite ; mais nous sentons dores et déjà des efforts et une volonté de bien faire avec cette première série.