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Le Chapelier Fou - Ces manga que les lecteurs de manga ne lisent pas

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Suite à une discussion avec d’autres lecteurs à propos du manga PIL de Mari Yamazaki, j’ai eu envie de pousser un petit coup de gueule.

En effet, il y a deux types de manga : ceux qui sont lus par des lecteurs de manga, et les autres. Les autres, ce sont des titres qui parlent plus à un lectorat issus de la BD européenne traditionnelle, que ce soit en raison de leur dessin, des thèmes qu’ils abordent, ou car leur statut de classique attire cette tranche bien spécifique du lectorat. Si des auteurs comme Jiro Taniguchi, Shigeru Mizuki, ou Osamu Tezuka continuent à faire les beaux jours de nos librairies, ce n’est certainement pas grâce aux lecteurs de manga, lesquels préfèrent se cantonner à des œuvres modernes ou qui ressemblent plus à l’image qu’ils ont de ce média.
D’ailleurs, certains éditeurs ne s’y sont pas trompé, tel que Casterman, Cornélius, IMHO, Le Lézard Noir, FLBLB, ou plus récemment Isan Manga ; pour la plupart des indépendants, qui ont compris qu’il y avait un marché à conquérir grâce à des titres anciens ou tout simplement « différents », quitte à ne parler qu’à cette catégorie réduite de lecteurs.

A bien y regarder, presque tous les éditeurs qui aujourd’hui travaillent dans le manga, disposent dans leur catalogue de séries qui parleront plus à un lectorat occasionnel amateur de BD occidental, ou qui réussiront l’exploit de convenir à ces deux publics. Les Gouttes de Dieu et Chi, une Vie de Chat chez Glénat, Thermae Romae chez Sakka (la branche manga de Casterman), Bride Stories chez Ki-oon, Billy Bat chez Pika,… Certains auront même leurs propres collections destinées à ces lecteurs bien spécifiques, comme Made In et Sensei chez Kana, ou Latitudes chez Ki-oon. Latitudes qui permet d’ailleurs de republier Bride Stories sous un format plus proche de notre BD – donc qui parlera plus à ses adeptes – sans pour autant pénaliser ceux qui préfèrent les manga standards.

Mais le grand spécialiste de ces titres grand public, c’est sans doute Kurokawa. Je n’ai pas réussi à retrouver cette interview de Grégoire Hellot datant de son arrivée chez Fleuve Noir pour élaborer leur catalogue manga, mais je crois me souvenir qu’il ne se présentait pas comme un passionné, à la différence de quelques-uns de ses concurrents ; il s’intéresse plus aux jeux-vidéo – c’est sans doute pour cela qu’il parle Japonais – et reste un lecteur plutôt dilettante. Cela explique probablement pourquoi il travaille aussi énormément sur des lectorats différents de ceux couramment courtisés par les éditeurs : les enfants, les amateurs de jeux vidéo, et tout simplement le grand public ; pour autant, il n’en oublie pas les habitués. Et la reconnaissance dont bénéficie un titre comme Vinland Saga témoigne de sa réussite.

Entendons-nous bien : ce que fait un éditeur comme Kurokawa ne me dérange pas le moins du monde. Il a bien raison de chercher à toucher de nouveaux lecteurs. Mais surtout, il a décidé de conserver le format classique des manga, et les prix qui lui sont associé ; rien ne différencie à priori, dans son catalogue, les titres destinés aux amateurs de manga, et ceux plus à même d’intéresser d’autres publics. Mais il n’en va pas toujours de même.
Quand un éditeur souhaite toucher un lecteur de BD, il peut être tenté de le draguer, voire de le rassurer, quitte à effacer certaines spécificités du manga. Cela passe dans un premier temps par une sur-adaptation des dialogues, afin de supprimer toutes les références ou les détails qui ne poseraient aucun problème à un habitué, mais qui pourraient surprendre le néophyte. Heureusement, nombre de ces titres soit ne se déroulent pas au Japon, soit ne recourent pas aux codes les plus stéréotypés du manga moderne ; mais ce n’est pas non plus le cas pour tous, puisqu’il sera difficile de trouver plus « japonais » que Les Vacances de Jésus & Bouddha et Thermae Romae. Une pratique qui pourra déplaire aux non-néophytes.

Mais ça, encore, ce n’est rien. J’ai mentionné tantôt le format de la collection Latitudes de Ki-oon, en précisant que dans le cas de Bride Stories, le lecteur avait finalement le choix entre ce format et le traditionnel. Ce n’est pas le cas chez tout le monde. Certains semblent partir du principe que pour vendre à un lecteur de BD, il faut ressembler à une BD ; ce qui implique un papier plus proche du A4, plus imposant, avec parfois même un sens de lecture inversé. D’une certaine façon, cela correspond à une version « luxe » du manga. Évidemment, le luxe a un prix. Un prix que peut peut-être se permettre un lecteur de BD, qui dépense moins pour ses séries régulières en raison de leur rythme de publication ou déjà entré dans la vie active (là où le manga est encore associé à un lectorat jeune).

Lors d’une interview récente, le co-fondateur d’Isan Manga a avoué que, même s’il vendait des manga, il ciblait principalement les collectionneurs, les médiathèques, les bibliothèques municipales,… mais pas les lecteurs de manga. Et le fait que les œuvres japonaises publiées dans la collection Ecritures de Casterman soient en sens de lecture occidental, tend à prouver qu’eux aussi se désintéressent de ces habitués. Dans un sens, ils ont raison : s’ils estiment que c’est en recourant à ces artifices qu’ils amélioreront leurs ventes, et que les lecteurs de manga ne représentent qu’une quantité négligeable dont ils peuvent se passer, pourquoi se gêner ?
Seulement, j’appartiens à cette « quantité négligeable », et je ne suis pas le seul. Je lis des manga, donc voir un éditeur de manga me snober, je ne risque pas de bien le prendre. Bordel, quel intérêt de s’appeler Isan Manga dans ces conditions ? Leurs deux titres de Yumiko Igarashi auraient pu m’intéresser s’ils avaient été proposés à un prix correct ; là, près de 30€ pour un produit inutilement luxueux, dont la moitié de l’épaisseur vient d’un texte tombé dans le domaine public, c’est de l’abus. Alors que quand Glénat a publié son Heidi dans sa collection Kids, je n’ai pas hésité une seule seconde pour l’acheter.

Je me trouve dans une situation délicate. D’un côté, j’aime les classiques du manga, les vieux shôjo, et les auteurs comme Osamu Tezuka et Shotaro Ishinomori. De l’autre, les éditeurs ont décidé que je ne les intéressais pas suffisamment, donc que si je voulais acquérir leurs œuvres, il faudrait que je passe à la caisse. Ils justifient leurs prix par un format dont je me contrefiche éperdument. Je suppose qu’ils savent ce qu’ils font, que cela leur permet réellement de toucher plus de monde et de rentrer dans leurs frais. Mais c’est vexant, forcément.
Si je voulais voir l’aspect positif, je dirais que sans ce lectorat bien particulier, prêt à lire des classiques et à les acheter à ce tarif, de nombreux titres ne seraient tout simplement jamais sortis en France. Seulement, si je ne peux pas les lire, cela me fait une belle jambe. Vous me direz, nous avons toujours le choix de les prendre ou non, et que si nous n’en avons pas les moyens, tant pis pour nous. Je vous répondrai que, si je le voulais, je pourrais les acheter ; mais je considère qu’il y a des limites au foutage de gueule. Pour le prix d’un Isan Manga, vous pouvez avoir un tome de Sabu & Ichi ou de Kamui-den de plus de 1000 pages ; voyez la différence. Et puis, il y a des limites à ce que je suis prêt à investir, tout simplement ; le Madame Bovary de Yumiko Igarashi, à moins de 10€, je l’aurais pris. Par contre, s’ils devaient publier They Were Eleven, même à 30€ je me ferais violence.

Toutefois, et pour finir, je rajouterai que tout n’est pas nécessairement la faute des éditeurs. J’ai des doutes quant à l’utilité de modifier le format pour attirer les lecteurs de BD, même si dans un coin de mon esprit, j’ai l’impression que ces changements servent surtout à justifier un prix plus élevé, pour des titres plus difficilement rentables ; mais je suppose que s’ils ne l’étaient pas, ils auraient arrêté d’en publier depuis longtemps, même si cela leur donne une bonne image et leur permet de briller en festival ou dans les pages de Télérama. La première fois que j’ai entendu le nom d’Osamu Tezuka à la télévision, c’était dans la bouche de Gérard Miller ; cela en dit long sur le public visé.
Mais finalement, et pour revenir au titre de ce billet, si les lecteurs de manga ne lisent pas ces œuvres en particulier, c’est parce qu’elles ne les intéressent pas le moins du monde ! Nous ne sommes certainement qu’une minorité à lire à la fois Masashi Kishimoto et Shotaro Ishinomori, quelques vieux de la vieille, des individus plus curieux que les autres, pour qui le mot « daté » n’est pas nécessairement synonyme de reproche. Cela n’ira pas plus loin. Nous ne sommes pas assez nombreux pour être pris en considération par les éditeurs.
Réjouissons-nous tout-de-même qu’il reste en France des lecteurs pour ces classiques et ces manga « d’auteur », car cela nous permet malgré tout de trouver de temps à autre des œuvres imprévues pour lesquelles ne serions effectivement prêts à mettre le prix. Les shôjo ne recourant pas à la comédie romantique n’ont hélas! pas cette chance.


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