A propos de Sailor Moon, tandis que je le regardais à la télévision, ma mère disait : « Tes filles, là, elles ne ressemblent pas à des Japonaises, avec des yeux pareils. » A l’occasion de la sortie du premier coffret DVD Sailor Moon (mon précieux !!!!!!!!!!), revenons dans le cadre de notre série « Le manga pour les nuls« , à cette autre question : pourquoi les personnages de manga ont-ils des yeux énormes ?
Pour répondre, il faut déjà se rappeler un élément fondamental : tous les personnages de manga n’ont pas des yeux disproportionnés. Prenez un tome quelconque sur votre étagère, regardez les personnages, et vous vous rendrez (peut-être) compte que ce cliché a la vie dure. Sauf si vous venez d’attraper un shôjo ou un vieux manga. Ce qui nous amène à notre réponse, qui aujourd’hui tiendra en deux points.
Et comme un petit dessin vaut mieux qu’un long discours, regardons de plus près cette image :
Vous aurez tous reconnu Bambi, grand classique des Studios Disney sorti en 1942. Maintenant, observez les yeux, ne les trouvez-vous pas disproportionnés ?
Alors vous me direz, Bambi n’est pas un personnage de manga (même s’il y a effectivement une série à ce nom). Certes. Je suppose que vous connaissez Osamu Tezuka, le père du manga moderne ; mais saviez-vous qu’il avait vu Bambi 51 fois ? Ce n’est d’ailleurs pas un cas isolé : le Dieu du Manga était passionné par l’univers de Walt Disney. A tel point qu’il n’hésitera pas à introduire Mickey et Donald dans ses propres œuvres (bien avant que les héritiers de ce-dernier ne s’approprient son Jungle Taitei).
Osamu Tezuka est un auteur profondément sous influence : il donne à quelques-unes ses premières séries des noms de films (qu’il n’a pas forcément vu), met en scène Tarzan et d’autres personnages sous licences à ses débuts sans trop se soucier du droit, et surtout, son style graphique vient en grande partie des productions américaines, à commencer par les courts et longs-métrages d’animation de Walt Disney ; lesquels recouraient justement à des protagonistes aux yeux énormes.
Il ne faut donc pas s’étonner de retrouver cela dans ses dessins, en particulier au début de sa carrière (ici dans un extrait de Metropolis) :
Là où cela peut surprendre le lecteur occidental, c’est que le Japonais est traditionnellement représenté avec des yeux minuscules, dans la mesure où ceux-ci sont bridés. Alors que cela passe bien mieux dans les productions américaines.
Dans la mesure où Osamu Tezuka posera les bases du manga moderne, de nombreux auteurs s’inspireront de ses travaux comme rarement auteur aura influencé ses contemporains. Ainsi, sa façon de présenter les personnages se retrouvera chez les autres mangaka, et avec elle les yeux disproportionnés.
Mais ce sont surtout les auteurs de shôjo qui, dans les années 70, trouveront une utilité nouvelle à cette pratique. La plupart des shôjo reposent sur les sentiments des personnages, mais aussi énormément sur les non-dits, les protagonistes n’ayant pas forcément la possibilité de s’exprimer ouvertement. Avec l’explosion de la scène shôjo, les yeux vont commencer à être employés comme des miroirs de l’âme, reflétant les sentiments des individus. Se développent alors des codes permettant de lire les différents éléments visibles dans les yeux, afin de décrypter les messages qu’ils véhiculent. Et vous vous en doutez, plus les yeux sont imposants, plus il est possible d’inclure d’éléments et donc d’exprimer de sentiments.
L’exemple-type pour le public français reste sans nul doute Candy Candy :
Dans le courant des années 80, ces codes graphiques associés aux yeux dans les shôjo ont progressivement disparus, mais leur taille est restée relativement constante jusqu’à aujourd’hui, à tel point que les yeux énormes soient parfois perçus comme une constante des shôjo. Ce n’est pourtant pas une réalité, comme l’atteste notamment Banana Fish, manga qui ne peut décidément rien faire comme les autres. Mais d’autres séries pourtant récentes témoignent effectivement de cette tendance :
Les yeux disproportionnés sont donc bien une réalité dans les manga, un peu comme les gros nez dans les BD humoristiques franco-belges. Mais il ne s’agit pas non plus d’un impératif, et nombre de mangaka n’y ont pas recours.