Le jour se lève sur un nouvel épisode de notre série estivale « le manga pour les nuls« . Aujourd’hui, un peu d’histoire avec cette question essentielle : comment les manga sont-ils arrivés en France ?
Il est difficile de savoir exactement quel manga fût le premier publié dans l’Hexagone, et surtout à quelle époque. Habituellement, nous pensons au magazine Le Cri qui Tue, sur lequel je reviendrai plus tard. Mais auparavant, nous trouvons quelques tentatives plus ou moins marginales. La plus ancienne recensée à ce jour date de 1969 : il s’agit d’un manga de Hiroshi Hirata, La dramatique histoire Budo du samouraï Shinsaburo, publié dans les pages de la revue Budo, spécialisée dans les arts martiaux. L’histoire fait 7 pages, et hormis son titre, il n’est fait mention ni de son auteur, ni de son éditeur d’origine.
Jusqu’à sa disparition en 1973, Budo continuera de proposer illégalement à ses lecteurs des séries japonaises, tournant autour de l’univers des arts-martiaux en général et des samouraïs en particulier ; de Hiroshi Hirata, bien sûr, mais aussi de mangaka comme Yajima Kenji aujourd’hui complètement oubliés.

Hiroshi Hirata, premier mangaka publié en France
C’est en Juin 1978 qu’apparait la première tentative sérieuse d’importation de manga en langue française, avec la mythique revue trimestrielle Le Cri qui Tue. C’est Motoichi « Atoss » Takemoto, jeune Japonais installé en Suisse, qui envisage de faire découvrir la BD de son pays natal au public francophone ; il s’associe pour cela à l’auteur et éditeur Rolf Kesselring, et leur collaboration durera jusqu’en Mars 1981, pour un total de 6 numéros depuis entrés dans la légende. Le magazine proposera entre autre des auteurs comme Osamu Tezuka, Shotaro Ishinomori, Fujio Akatsuka, ou encore Yoshihiro Tatsumi, et des séries parmi lesquelles Le Système des super-oiseaux (rebaptisées Demain les Oiseaux lors de sa réédition complète par Delcourt), Golgo 13, Sabu & Ichi, et un grand nombre d’histoires courtes. Étonnamment, Mafalda, du dessinateur argentin Quino, figurait aussi dans les pages du magazine.
En 1979, les mêmes Atoss Takemoto et Rolf Kesselring publient le premier manga sous la forme d’un volume relié : Le Vent du Nord est comme le hennissement d’un cheval noir, écrit – d’après la jaquette – par un certain Ishimori. Il s’agit en réalité d’un simple chapitre de Sabu & Ichi, mais cette sortie fera date. Lors de la réédition de la série par Kana, le chapitre conservera ce nom.
Le 3 Juillet 1978, soit un mois après l’apparition du Cri qui Tue, Antenne 2 diffuse le premier épisode de Goldorak. Le succès est immédiat, et ouvre la voie à Albator 78 et Candy ; si d’autres animes avaient déjà eu les honneurs de la télévision française auparavant, l’impact est sans précédent. Toutefois, le lien avec le manga ne se fait pas. Ce ne sont pourtant pas les produits dérivés et les magazines dédiés à ces diverses séries qui manquent, avec même quelques bandes-dessinées dans le lot ; mais celles-ci sont en couleur et créées spécialement pour l’occasion par des artistes européens. Télé-Guide arrive tout-de-même à imposer le manga originel de Candy, sous la forme d’un magazine spécial qui durera 12 numéros : Candy Candy Poche. L’expérience sera sans suite.
Les années 80 ne voient donc pas l’explosion de la BD nippone que nous aurions pu attendre, ce alors qu’Osamu Tezuka nous expliquait, en 1983 dans la préface de Manga! Manga! de Frederik L. Schodt, que c’est par l’animation japonaise et une série comme Goldorak (dans le texte) que les manga s’imposeraient en France. En 1982, ce même Osamu Tezuka pouvait flâner dans les couloirs du FIBD d’Angoulême sans risquer d’être reconnu.
Toutefois, la décennie voit de nouveaux quelques tentatives marginales de publication. Atoss Takemoto disposant toujours des droits d’exploitation européens de certains titres, il s’associe avec l’éditeur Artefact pour sortir Hiroshima, une compilation de deux histoires courtes de Yoshihiro Tatsumi – Good-bye et Enfer – déjà parues dans Le Cri qui tue. Nous sommes en Mars 1983.
Le même mois, ce sont Les Humanoïdes Associés, maison d’édition fondée par Mœbius, Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet et Bernard Farkas, qui se lanceront dans l’aventure avec le premier tome de Gen d’Hiroshima, de Keiji Nakazawa. Mais en raison d’un manque cruel de succès, ils s’arrêteront là.
Les autres éditeurs, face à ces déconvenues, hésiteront dès lors à faire le pari de la BD japonaise, hormis pour quelques rares productions à caractère pornographique ; la revue Mutants publie ainsi Androïde de Sesaku Kanô et Kazuo Koike, tandis que le magazine Rebels en fera de même avec Scorpia de « M » Yuu et « K » Kazuya (impossible de trouver plus de précisions sur ces auteurs).
En 1989, Albin Michel se risque à sortir Les secrets de l’économie japonaise en bandes dessinées, de Shôtaro Ishinomori, mais s’arrête au bout d’un tome sur les quatre que compte l’édition nippone.
En 1988, Marvel Comics se propose de publier Akira aux États-Unis, par l’intermédiaire de sa filiale Epic Comics. Son auteur, Katsuhiro Otomo, accepte que l’éditeur américain procède à une colorisation de son œuvre, et choisit Steve Oliff pour mener à bien ce travail ; celui-ci réussit à convaincre Marvel Comics d’utiliser l’ordinateur pour effectuer cette mise en couleur, en faisant la première du genre. C’est cette version que Glénat décide de sortir à partir de Mars 1990. Et cette fois, le succès est au rendez-vous.
Dans le sillage de l’éditeur grenoblois, ses concurrents se redécouvrent un intérêt pour le manga. Albin Michel ressort le premier tome de Gen d’Hiroshima sous le titre Mourir pour le Japon, tandis que Les Humanoïdes Associés publient Rêves d’enfants, du même Katsuhiro Otomo. Malheureusement pour eux, Akira se révèle comme un cas à part et les ventes ne suivent pas.
C’est de nouveau Glénat qui va ouvrir la voie, en publiant à la suite de cette première tentative fructueuse deux nouvelles séries, dont les adaptations sont justement en cours de diffusion par l’intermédiaire du Club Dorothée : Dragon Ball en Février 1993, puis Ranma ½ exactement un an plus tard. A partir de là, les manga commencent à s’installer, et le succès commercial de Dragon Ball servira de locomotive pour le reste du marché français pendant plusieurs années.
Le reste appartient à l’histoire. Tonkam ouvre ses portes en 1993 et sera le premier à privilégier le sens de lecture original, Glénat publie des titres sans équivalent animé diffusé en France tels que Appleseed et Gunnm, et de nouveaux éditeurs entrent dans la danse : Samouraï Éditions, Casterman, Star Comics, J’ai lu, Dark Horse France, Dargaud (via Kana), puis tant d’autres.
Il aura donc fallu près de 10 ans entre le texte prophétique d’Osamu Tezuka à propos de l’arrivée du manga en France, et l’émergence d’un marché viable, même si toutes les tentatives ne connaitront pas une fin heureuse. En espérant que cela dure encore longtemps.