Je regarde Gate. Sans trouver la série exceptionnelle, elle me distrait et possède le mérite de proposer un scénario original traité avec un minimum de sérieux. Seulement, l’image de l’armée japonaise véhiculée par cet anime me dérange un peu.
Je ne sais pas qui a déclaré un jour que tout choix était politique, mais je n’y crois pas. Aussi, ce que je vais évoquer ci-dessous découle peut-être d’une sur-interprétation de ma part. Peut-être que l’auteur de l’œuvre dont il sera question n’a pas souhaité donner une portée politique à son histoire, et cherchait uniquement un prétexte pour mettre en scène des éléments qu’il apprécie, à savoir l’armée japonaise – les military otaku n’ont rien d’un mythe – et la fantaisie. Il n’empêche que le message que je perçois de Gate m’interroge au plus haut point, et justifie que j’écrive ces quelques lignes.
Un peu d’histoire pour commencer. L’année 1945 marque non seulement la défaite de l’Allemagne, mais aussi celle de l’Autriche et du Japon (cela fait longtemps que l’Italie est hors-course). Pour les Japonais, cela se traduira par une nouvelle constitution, et une présence militaire américaine permanente sur son territoire. L’article 9 de cette constitution stipule que le Japon renonce à la guerre en tant que nation souveraine, ce qui la prive du droit de disposer d’une force armée ; néanmoins, en raison des tensions locales – notamment la séparation des deux Corées en deux blocs opposés – cet article est réinterprété en 1954, autorisant cette fois le pays à développer une nouvelle armée, mais destinée uniquement à l’auto-défense : les Forces d’Auto-Défense Japonaises (FAJ) venaient de naitre, avec à leur tête d’anciens officiers de la défunte Armée Impériale.
Vous vous en doutez, dans un pays comme le Japon avec une forte tradition militaire, l’existence d’une force uniquement destinée à l’auto-défense, de surcroit imposée par l’envahisseur américain – car c’est bien comme cela qu’il est perçu – a parfois du mal à passer. D’autant plus quand des partis nationalistes et révisionnistes siègent à la Diète, et que le premier ministre se rend chaque année dans un temple rendant hommage notamment à 1000 criminels de guerre reconnus – je vous épargne le parallèle avec Angela Merkel qui me vaudrait certainement un point Godwin, mais vous saisissez l’idée.
Surtout, le Japon – à la différence de l’Allemagne – ne s’est jamais véritablement livré à son devoir de mémoire, n’a jamais présenté d’excuses officielles aux pays occupés pour ses exactions ou aux prisonniers de guerre – la société Mitsubishi l’a récemment fait en son nom propre, aux derniers survivants américains de ses camps de travail. L’éducation nationale fait peu de cas des défaites ou des raisons qui ont mené à la Guerre du Pacifique, conduisant à une méconnaissance de l’Histoire rendant l’existence d’une simple force d’auto-défense – véritable camouflet pour une nation souveraine aussi importante que le Japon – en une injustice difficilement compréhensible, et par conséquent inacceptable.
C’est là qu’arrive Gate, sous-titré : « Le jour où les Forces d’Auto-Défense combattirent ». L’histoire commence lorsqu’un portail – la fameuse « gate » du titre – apparait en plein centre de Tokyo, déversant des flots de guerriers et de créatures venus d’un autre monde, que les forces locales arrivent heureusement à arrêter. Il faut désormais décider que faire de ce passage, et le gouvernement japonais va faire une déclaration très claire : comme il se situe sur son territoire, ce qui se trouve de l’autre côté appartient aussi au Japon. Et puisqu’il s’agit du Japon, rien n’interdit d’envoyer la FAJ ! C’est parti pour une guerre d’invasion qui ne dit pas son nom.
Une guerre d’invasion où les envahisseurs sont menés par un gentil otaku, s’occupent des populations locales en lieu et place d’un pouvoir corrompu et autodestructeur – cela tombe bien, c’est justement l’ennemi à abattre – créent des camps de réfugiés et pourvoient à tous leurs besoins.
Alors, certes, il est possible de voir Gate comme une simple histoire opposant des soldats à des dragons, avec de la magie et des elfes à gros seins. Mais quand même, cette histoire d’invasion d’une réalité parallèle par l’armée japonaise, sous prétexte que le passage se trouve au Japon, et présentant l’envahisseur surarmé comme une force positive – même si ce ne sont évidemment pas eux qui ont attaqué les premiers – je ne sais pas, cela me donne des frissons. Je précise que les personnages eux-mêmes ne sont pas dupes des explications fournies par leur gouvernement pour justifier leur attaque, mais cela ne change rien à cette image de la FAJ combattante et victorieuse, dans un pays ne disposant que du droit de se défendre.
En soit, le statut de la FAJ est un sujet qui ne me préoccupe pas, et m’intéresse peu. Mais il s’agit avant tout d’un symbole. Interdire au Japon de maintenir une armée après la Seconde Guerre Mondiale n’était sans doute pas l’idée du siècle, dans la mesure où cela ne pouvait qu’exacerber un sentiment d’humiliation chez la population – ce n’est pas comme s’il n’y avait pas eu des précédents, après la Première Guerre Mondiale – et rétablir une force d’auto-défense apparait rétrospectivement avant tout comme un compromis, permettant au Japon de se doter d’un semblant d’armée sans pour autant désavouer les Américains.
Sans aller jusqu’à parler de message politique, une histoire présentant une armée d’invasion comme une force positive, dans la mesure où l’auteur et elle appartiennent au même pays, me parait forcément douteuse. Il y a des précédents, et certainement pas qu’au Japon.