Plus les années passent, moins je lis de shônen mainstream. Mes goûts ont évolué depuis l’adolescence et je me tourne plus volontiers vers des titres comme « L’école emportée » ou encore « Astro Boy » : des manga qui, à mes yeux, ont un intérêt narratif bien plus grand que Naruto ou Bleach (dont je n’ai pas dépassé le tome 1 pour ce dernier). Mais un irréductible blockbuster a su continuer à me séduire et il s’agit de One Piece.
De la maternelle à One Piece
Convenance oblige, il me faut vous présenter Eichiro Oda, le créateur de One Piece. A l’école maternelle il décide déjà de suivre une carrière de mangaka et a une passion prononcée pour les vikings ainsi que les pirates. Passion dont l’auteur fait régulièrement part dans « Les questions que tout le monde se pose » dans les volumes reliés de son œuvre, faisant office d’inter chapitre.
A partir de 1992, la carrière de Oda fait un bond : il reçoit le 44 ème prix Tezuka pour sa nouvelle Wanted, en 1993 il publie Kami kara mirai no puresento dans le JUMP et il rafle la même année le prix du manga Tenkaichi pour son one-shot Ikki Yakō. 1994 : il travaille en tant qu’assistant pour Shinobu Kaaitani (One Outs, Liar Game), Masaya Tokuhiro( Jungle no Ouja Taa-chan) et surtout Nobuhiro Watsuki (Kenshin, Bûso Renkin).

Eichiro Oda est probablement le mangaka le plus prolifique au monde.
Munis de sérieux bagages pour entamer sa propre carrière (les trois mangaka excellents respectivement dans le scénario pour le premier, l’humour pour le second et l’action pour le troisième), le jeune assistant tente sa chance et soumet deux nouveaux one-shots : Monsters dans le Autumn Special de 1994 et Romance Dawn dans le Summer Special de 1996. 6 mois plus tard, la version finalisée/corrigée de Romance Dawn est publiée dans le Weekly Shônen Jump et là… C’est la consécration.
Romance Dawn se fait sérialiser pour devenir One Piece en 1997, le nouveau fer de lance du magazine. Les semaines passent et la popularité du soft explose littéralement les compteurs. La plupart des nouveaux tomes se classent numéro un des ventes dès leur sortie, et un anime à succès ne tarde pas à poindre en 1999 (par Toeï Animation).
Celui que l’on considère comme le « nouveau » Dragon Ball est né ! Les produits dérivés se comptent par dizaine de milliers, les jeux vidéo se vendent comme des petits pains et Luffy est l’un des personnages les plus appréciés de l’univers du manga. OP s’est rapidement imposé comme la nouvelle référence du shônen estampillé JUMP.
One Piece, un univers et un concept unique ?
En quoi One Piece est-il la perle rare des shônen ? Ils sont nombreux ceux qui s’accordent à dire que pour son originalité, OP est transcendant. Il y a en revanche, étonnamment moins de monde lorsqu’il faut se pencher réellement sur la question pour déterminer en quoi cette affirmation est une vérité et non un leitmotiv de fans. Soyons concis : le phénoménalement extraordinairement pittoresque thème de la piraterie n’est aucunement une nouveauté au beau pays du manga.
Osamu Tezuka s’est déjà attaqué au genre en 1947 avec « La nouvelle île aux trésors », vaguement inspiré de « L’île au trésors » de Robert Louis Stevensson. Dans la science-fiction, on oublie trop souvent d’évoquer Albator de Leiji Matsumoto(1969) ou encore Cobra de Buichi Terasawa ( 1978). Et comment ne pas évoquer le tristement oublié «Full Ahead Coco » de Yonehara Hideyuki, lui aussi sorti en 1997 mais ayant souffert du succès de son contemporain ?
Premier constat : la piraterie dans le manga a existé avant One Piece et lui survivra, mais plus discrets seront les courageux à tenter de se faire publier pendant son règne. Plus de 350 millions d’exemplaires vendus à travers le monde, ça calme… les bandits des mers ou de l’espace ne sont donc pas originaux mais plutôt inhabituels bien que se démocratisant (Vinland Saga de Makoto Yukimura et ses vikings en sont en un bon exemple).

Shanks le Roux VS l’amiral Akainu
Nous en venons au second point qu’il faut décortiquer : le « concept ». Vous allez encore tomber des nues, mais il n’est lui aussi, en rien remarquable, bien que fort attrayant. Luffy est un héros stupide, doté d’une intelligence de situation lors des combats, qui n’abandonne rien pour atteindre son rêve et qui est doté d’une force aussi grande que son appétit gargantuesque. Monkey D. Luffy, c’est un héros 100% JUMP et Gon de Hunter X Hunter ou encore Kenshin de Kenshin le vagabondsont plus intéressants à bien des niveaux.
Bien que faisant face à un certains lots d’épreuves qui le feront souffrir, Luffy est foncièrement bon et le sera toujours au nom de l’amitié et du nekketsu. Gon de H X H est en revanche présenté comme un personnage incapable de différencier le bien du mal et quant à Kenshin, c’est un ancien assassin en repentir. One Pieceest un bon shônen des familles, conçu pour vendre avant tout, ciblé pour le grand public.
Il faut cependant reconnaître que les fruits du démon, c’est cool. Mais cela ne reste rien de plus qu’un équivalent du Ki dans Dragon Ball ou encore du Chakra de Naruto , quoi que laissant à l’auteur une imagination certaine dans l’élaboration des superpouvoirs (à l’instar de Hirohiko Araki avec Jojo’s Bizarre Adventure et ses stands). Les sous-intrigues comme l’histoire oubliée ou la signification du « D » épaississent le mystère, mais n’apportent pour l’instant pas grand-chose narrativement parlant si ce n’est des questions. C’est certainement là le but de Oda : faire parler durablement de son œuvre en disséminant tous les 10 tomes une petite révélation.
Comment expliquer ce succès ?
Vous auriez tort de croire que je n’aime pas One Piece, c’est même tout l’inverse : je suis un grand fan même si cela peut avoir l’air capillotracté après la lecture de mes précédentes lignes ! Dans cette dernière partie, nous allons revenir sur les éléments qui justifient la gloire de Luffy et de toute sa bande.
L’un des atouts de One piece, c’est le simplisme de son dessin. Tout comme Toriyama, Oda a opté pour des visages peu détaillés, le but étant de faire ressortir au mieux les émotions de ses héros… Et cela marche ! Le mangaka mise énormément sur l’amitié qui lie l’équipage du chapeau de paille et les moments émouvants ont un impact bien plus frappant même si ils flirtent avec le tire-larme.
Toujours dans le graphisme, Oda excelle tout particulièrement lorsqu’il s’agit de dessiner des chapitres de bataille. Il fait preuve d’un fort sens de la mise en scène, ce qui lui permet d’alterner dans son découpage entre des planches de mêlée (Arc CP9 et Marineford), des gros plans incisifs lors des duels (Arc d’Alabasta, Arc de Thriller Bark) ou encore sur les pages de présentation des chapitres (avec des animaux et un thème amusant).

Un talent pour la mise en scène et les proportions
On l’aura bien compris : les grandes forces de ce shônen sont son dessin (expressif, clair et dynamique) et ses personnages. Il faut l’admettre, le background des héros mais aussi celui des ennemis est souvent riche, recherché, réussi tout simplement. L’humour débile fait rapidement mouche et on se fait très vite aux running gag qui sont rarement lassants, car utilisés avec parcimonie.
L’auteur sait aussi se renouveler comme le démontrent les nombreux arcs qui composent la « saison 1 » de cette saga. A titre d’exemple, nous découvrons les hommes-poissons au tome 8 avec l’arc d’Arlong, on ne découvrira leur île qu’avec le volume 62 qui fera un parallèle intéressant avec la discrimination du monde réel. De même, le développement du Haki dans la saison 1 et son aboutissement dans le nouveau monde constituent aussi une source de renouveau.
Pour conclure : non, One Piece n’est pas un manga au contenu 100% inédit et original. Il se base sur une recette qui marche depuis des décennies et qui a fait ses preuves chez le Weekly Shônen Jump. Il n’en reste pas moins qu’il manie ces ingrédients à merveille, ce qui justifie amplement sa gloire d’aujourd’hui. Il ne nous reste plus qu’à espérer que le papa de Luffy continuera de mener sa barque à bon port, en direction du One Piece.
