J’aurais pu aussi mettre en titre “l’histoire des deux maîtres des hauts châteaux“, mais comme je n’ai pas vraiment apprécié le bouquin, y faire référence me paraît un peu de la triche.
En tout cas, voici le premier épisode de ma série d’articles sur Le château de Hurle et Le Château ambulant. Dans cette partie, je compare le début de l’histoire dans les deux œuvres, jusqu’à la rencontre entre Sophie et Hurle et le pacte de Calcifer. Cette partie de l’histoire est assez similaire, après cela Miyazaki part complètement en live dans son film, sans trop d’explications. C’est assez déroutant qu’il ait pris cette décision, mais cela permet d’offrir une alternative au récit original par Diana Wynne Jones.
Mais même si le début de l’histoire décrite dans l’article est à peu près semblable entre les deux œuvres sur le papier, la vraie différence entre l’histoire des deux univers est l’atmosphère et la vraisemblance scénaristique : là où le début de l’histoire du roman est une parodie assumée de contes de fées et écrite pour des gens aimant les histoires d’univers parallèles et donc relevant franchement de la fantasy, le film essaie de s’insérer dans un contexte plus réaliste et historique avec des éléments surnaturels, dans la lignée de certains récits fantastiques. Il faut donc bien avoir à l’esprit que là où la Sophie du livre est un pur produit de contes de fées des 17ème-18ème siècles, la Sophie du film est d’une époque à la croisée entre le monde ancien féérique et un équivalent de la seconde révolution industrielle de la fin du XIXème occidental.
Le Château de Hurle et le Château ambulant ont tous les deux la même base scénaristique : Sophie Chapelier, chapelière et fille de chapelier de son état, est une jeune femme un peu triste, qui pense que ses chances de faire fortune sont minces, parce qu’elle est l’aînée de trois filles.
En effet, comme pointé dans le roman, dans le monde d’Ingary où se déroule l’histoire, l’aîné est celui qui a le plus de chances de se planter si il lui arrivait un beau jour de vouloir partir à l’aventure (en référence directe aux contes de fées de Perrault et de Grimm ) : être aîné suppose finir dans la cohorte des princes déçus quand ce n’est pas morts zigouillés, des sœurs acariâtres évincées et des gens qui passent à côté de fortunes prodigieuses. Au profit, le plus souvent, du plus jeune, ce conn… veinard.
Sophie a d’ailleurs d’autres raisons de se faire du mouron quant à son avenir glorieux personnel : son père est mort et, sous la demande de sa belle-mère, elle reste toute la journée à coudre des chapeaux pour tenir la boutique, quand ses deux plus jeunes sœurs, Lettie et Martha, sont parties en apprentissage ailleurs pour cause de manque d’argent.
Dans les deux œuvres, d’ailleurs, Sophie est dans le début de l’histoire pâle, effacée, craintive et ne se pose que peu de questions quant à une possible manipulation par sa belle-mère pour son profit. A peine effleure-t-elle la question dans le roman, mais c’est pour complètement mettre de côté cette hypothèse, jugée farfelue. Elle aurait pourtant tout son sens, car Sophie ne sort jamais (et repousse toujours ad patres toute sortie de la boutique pour voir ses soeurs), ne se fait pas d’amis et reste cloîtrée à coudre à longueur de journée.
Un jour pourtant, elle se décide à sortir pour aller voir sa sœur à la boulangerie. En pleine fête de Mai, elle se fait aborder par plusieurs hommes, avant d’arriver dans une boulangerie pleine à craquer. En passant, elle remarque bien le château de Hurle, dont on dit qu’il mange les cœurs des jeunes filles, mais son manque d’esprit d’aventure fait qu’elle prend peur des gens, de la fête, des bruits trop forts et de ce château brinqueballant dans la lande au-dessus d’elle.
Une fois à la boulangerie, Sophie se fait sermonner par Lettie sur son manque de courage et sur le fait qu’elle se fait exploiter par leur mère à toutes les deux, ce qui énerve Sophie.
Le soir, alors que Sophie est passablement énervée sur le sujet, une dame étrange apparaît dans la boutique. Sophie lui propose d’essayer des chapeaux dans le roman, de partir dans le film, mais laisse échapper dans les deux cas une remarque malheureuse. A ce moment, la dame étrange, qui est en fait la sorcière du désert, l’adversaire jurée de Hurle (Hurle ne veut pas l’épouser et IL A BIEN RAISON VU QU’IL EST POUR MOI), se saisit de ce prétexte et lui jette un sort.
Dans le film, le passage où Hurle rencontre Sophie pour la première fois et la guide hors d’un guet-apens posé par la Sorcière du désert est une excuse pour cette scène de confrontation entre Sophie et la sorcière. La première rencontre entre Hurle set Sophie se passe de façon bien différente et plus imperceptible dans le livre (c’est là où on voit que de manière générale, le Hurle du film est moins développé, car il est moins rusé, secret et ne porte que peu de déguisements à l’inverse de son comparse littéraire, et sous-utilise les possibilités que laissaient entrevoir le livre. J’imagine que Miyazaki a dû simplifier, hein… *soupir*), vu que Sophie rencontre un Hurle déguisé et qu’il ne dit jamais son nom, la sorcière devant se contenter de deviner les liens entre Hurle et Sophie.
Du coup, les raisons de la transformation sont légèrement différentes dans le roman et le film, mais le résultat est le même : Sophie est changée par la sorcière des landes en vieille de 90 ans bien tassés et toute rabougrie, aux jointures craquantes, la peau parcheminée et les genoux noueux.
Sophie, qui n’a plus rien à perdre désormais, décide alors de partir à l’aventure avec un bout de pain et de fromage… Dans le roman, sur son chemin elle rencontre un épouvantail, un chien attaché et un bâton. Sophie parle au premier, sauve le deuxième et ramasse le troisième (là, le lecteur assidu de contes se met aux aguets et il a bien raison), alors que dans le film elle part juste en voyage, rencontre l’épouvantail Face de navet et chope un bâton sans signification particulière. Miyazaki perd pour la première fois le lien avec le roman dans ce passage précis pour ne garder que Face de navet et en faire un totem sympathique, alors que Sophie prend peur de l’épouvantail quand il prend vie dans le bouquin.
Puis, dans le roman elle se trouve face au château du magicien Hurle et décide, par un caprice de vieille mémé acariâtre, d’y passer la nuit (dans le film, c’est Face de navet qui lui trouve le château). Et vu qu’elle n’est plus une jeune fille au cœur tendre, Sophie pense qu’elle ne risque rien (Cette fois-ci, le lecteur ricane grassement). Cela se passe un peu différemment dans le film, mais le résultat est le même : Sophie s’incruste chez Hurle en tant que femme de ménage et a bien l’intention de rester. Surtout depuis qu’elle a fait un pacte avec Calcifer, son démon du feu et qu’elle doit trouver comment rompre le lien entre Calcifer et Hurle en échange de l’annulation de son propre maléfice.
A partir de là, l’histoire diverge vraiment entre les eux versions de l’histoire, pour donner deux finaux assez différents (ok, sauf sur un point : Hurle finit avec Sophie. Mais bon, depuis qu’elle a trouvé l’épouvantail, le chien et la canne et fait ce qu’il fallait faire à chaque fois, vous le saviez déjà, non?). Il devient donc intéressant de détailler les personnages…
Suite au prochain épisode!