Alors, hem.
Je vous présente Kuroki Tomoko. Tomoko, voici les Internets, les Internets, voici Tomoko.
Vous le savez sûrement, et j’aime bien entretenir et exagérer cette réputation, j’aime bien ne pas faire les choses comme tout le monde. Sortir du carcan, ne rien faire comme le péquin, quitte à laisser quelques plumes au passage. Ça concerne aussi mes propres canons de la beauté dans l’animation. J’aime bien ce qui sort de la boîte, ce qui est sensé subvertir les grandes bajasses aux grands yeux. Je ne ferais pas une déclaration d’amour à Tomoko parce que c’est un personnage de quinze ans donc bon voilà herm mais je trouve qu’il y a un certain charme derrière ce design. Cheveux en bataille, cernes, air pas rassurant, ma fibre tératophile est titillée (l’amour des monstres, oui oui)
Cette nana respire l’autismoe, ce néologisme que j’ai trouvé pour Crona il y a quelques années. Une fille qui n’a aucune idée de ce qu’est un mécanisme social ou qui n’arrive pas à les appliquer. Pour ce premier exemple, points bonus pour le background traumatisé du perso et son coté androgyne irrésistible.
Tomoki… est une fille un peu plus particulière, mais plus ancrée dans le réel. Je ne parle pas à son échelle, c’est un modèle qu’on peut trouver en vrai. C’est là que le malaise commence.
Je trouve ce personnage charmant, il est vrai. Sympa et original. Cela faisait plusieurs mois que je me demandais d’où il sortait puisque je l’avais déjà croisé deux ou trois fois dans ma « carrière internet ». Puis les deux ou trois fois suivantes étaient davantage dans un contexte dégueulasse – i.e. doujin du même qualificatif – ce qui renforçait un peu l’aura du personnage. Qui la mettrait en scène dans des contextes et des cahiers de charges pareils ? Qu’elle est-elle ? Encore une déesse omnisciente ? Une tsundere ? Ben non. J’ai maintenant toutes mes réponses : Tomoko est l’héroïne de Watashi ga Motenai no wa Dou Kangaete mo Omaera ga Warui, un nom à coucher quinze fois dehors qu’on a coutume de réduire à WataMote. « No Matter How I Look at It, It’s You Guys’ Fault I’m Not Popular!« parce que ouais, c’est l’histoire d’un déni. Tomoko est l’héroïne de ce manga et son adaptation animée vient d’être lancée. C’est un manga tout simple dont il est assez difficile de parler, ça fait de lui un truc intéressant. Culture pop, ho !
Bon. Vous êtes probablement un peu otake, et vous en connaissez aussi sûrement. J’en suis un, un peu. En tout cas, j’en ai été un, et c’était cool, j’ai découvert plein de trucs qualitatifs. Une grande majorité d’entre eux sont sympas, voire tout à fait normaux. Bien sûr, être otake c’est être un peu barré, socialement ou autre, parce qu’aimer une culture de ce genre implique un minimum de distance à la doxa. Rien de bien grave, énormément d’otakes sont aussi civils et sociables que leurs confrères. Beaucoup sont sexuellement actifs mêmes, désolé de briser le mythe. En revanche, il est vrai qu’il existe des dérives, des cas extrêmes. Vous vous souvenez de Bienvenue à la NHK ? Mon tout premier anime ! Celui qui peignait le phénomène des reclus hikkikomoris. En regardant ça, en plein milieu d’une année que j’allais bientôt larguer pour autre chose, c’était un sacré signal d’alarme. Des reclus, y’en a plein. Des qui dépassent pas le bac, d’autre le brevet, d’autres qui galèrent dans le chômage longue durée et qui font tout pour se sortir de la spirale. Des Tanguys, des NEETs, ça existe. Des super creepys avec le sexe opposé, aussi. Parfois conscient, parfois dans le déni. Puis, encore plus loin dans le spectre, il y en a qui sont tellement déconnectés des conventions sociales qu’ils en deviennent insupportables sur leur seul medium, i.e Internet – qui trouvent que tout est pourri autour d’eux. Bref, la blague du fou sur l’autoroute. Ils aliènent systématiquement les quelques gens qui gravitent autour d’eux et vivent dans un déni constant. Si si, ça existe.
En fait, Tomoko est comme ça. Un peu craquante sur le papier et en dessin, probablement imbitable dans la vraie vie.
WataMote est l’histoire de ce syndrome. C’est un manga à visée comique qui narre le quotidien d’une fille qui veut être populaire mais qui n’y arrive pas. Sans être explicitement injurieuse, elle voudrait se sortir de cette situation et, Asperger style, le fais avec tellement de ferveur qu’elle se foire toujours toute seule. Elle a un look dégueu parce qu’elle ne prend pas soin d’elle et, évidemment, mène une folle vie à travers les dating-Sim, milliards de conquêtes à l’appui. Elle a passé tout le collège à ne parler à personne et pense que le lycée va être une nouvelle étape dans sa vie. Elle s’attend à ce que tout change, qu’elle devienne la reine du bal – et trois mois plus tard, PAF ! Absolument rien n’a changé et elle se retrouve dans la même galère à en souffrir. C’est pas ma faute à moi, T-O-M-O-mo-ki. Moi Tomoki.
C’est le postulat. Basiquement, chaque chapitre voit Tomoki, le plus grand pingouin bizarrement sociable de sa génération, confrontée à une tranche de vie, penser tout et n’importe quoi (souvent à des bites – oui, des bites, partout, tout le temps, surtout avec son frère, faut croire que sa libido est un enjeu comique constant) établir des plans complètement dingues dans sa tête pour échapper à telle ou telle situation puis toujours, t-o-u-j-o-u-r-s subir une sorte d’humiliation. Elle n’apprend jamais et se fourre dans toujours plus gênant. Ceci est donc le manga du #malaise.
Et pourtant, j’aime bien ce manga, probablement parce que j’aime bien ce perso. Je ne sais pas quelle est l’intention auctoriale derrière tout ça. Qu’est-ce qui ferait marcher un manga pareil ? Peut être les sadiques ou amateurs de Shadenfreude. Peut être que c’est une manière détournée de dire « Hé, toi qui te reconnais ! Bouge-toi les fesses ! » Mais je doute fort qu’il y ai tout un sous-texte à la Evangelion. Peut être qu’il y a une vraie portée comique derrière mais je sais pas. Il est évident que chaque personne qui tombe sur ce manga de son propre chef est un peu ou a déjà été un peu comme ça. Moi même, je suis pas mal socially awkward, ça m’a jamais vraiment posé problème et je m’en suis toujours tiré. Deux trois situations lues dans le manga m’ont fait gentiment sourire jaune parce que j’avais rencontré ce genre de situation. Je suis persuadé que c’est le but du bouzin et que chacun tiltera sur tel ou tel moment.
MAIS. COMMENT TROUVER CA DRÔLE quand la Tomoki en question semble réellement en souffrance ? Tu peux pas faire un manga comique où la dernière case est une gamine qui chiale, morte de honte ! C’est pas super gégé ! Son but dans la vie est d’avoir des amis – et de tirer son coup, visiblement – et on sait pertinemment que ça n’arrivera pas. C’est le sydrome du crash d’autoroute, tu peux pas détourner les yeux mais tu sais ce qu’il va se passer à chaque fois. Soit ma connaissance des mécanismes du genre est pas au top, soit l’auteur se gourre un peu dans les prises de directions. Là encore, je parle du manga. C’est vrai que les chapitres sont variés et qu’ils cultivent un humour… particulier. Tomoki est une forme d’humour en soi. Cette déconnexion est une espèce de forme d’abnégation qu’il est rigolo de voir (non) évoluer. Ses expressions vides, ses expressions tout court, ces gimmicks bien trouvés – notamment ce casque qui est sensé la déconnecter encore plus du reste mais qui ne débite que des horreurs, on ne sait pas pourquoi – et pas mal de choses rendent le processus un peu délirant. A l’image du perso, somme toute – il sait bien nous mettre dans cet esprit un peu dérangé. WataMote, c’est le malaise à l’école, le malaise au Starbucks, le malaise au ski, il y a donc cet humour noir un peu latent, pas façile à capter. Je pense que c’est ça qui fait marcher la série et ça passe beaucoup par les expressions ébahies de Tomoko.
C’est d’ailleurs un peu toujours la même chose. Tomoko est fascinée par les mêmes trucs : les objets sexuels, les jeux sexuels, les allusions sexuelles et un peu par le caca aussi, ne me demandez pas. Dès qu’elle a l’occasion de prendre la parole, l’un de ses hot topic va sortir de sa tête et donc de sa langue. Elle pensait faire un truc super cool et elle à juste l’air bien conne. Échec. Le lecteur ne sait pas trop quoi faire. Puis la surenchère est de mise : tout le suc humoristique réside dans le degré d’embarassement croissant dans laquelle elle peut se mettre. Ici, plus haut, chopée sans culotte (un grand classique, mais à quinze ans, je sais pas) je trouve le manga plutot bien dessiné et plutôt… je ne sais pas, il embarque son lecteur. Amo m’avait prévenu : tu devrais l’aimer, pour X raisons. L’allusion est toujours restée dans les limbes du mystère. Je suis peut être une Tomoko de 22 ans, qui sait ? Ou alors, peut être que nous sommes deux à prendre des nuits trop courtes.
Pis c’est comme si les gens étaient des connards autour d’elle : les autres élèves sont toujours neutres, sinon gentils. Pas la moindre once d’hostilité ou de méchanceté. Tomoko a même une copine de collège qu’elle retrouve de temps en temps. Elle est fasciné par sa mini-jupe, trouve qu’elle a un look de pouffe. Du coup, la-dite copine a trouvé le doux sobriquer de slut-chan par le fandom. Oker.
C’est donc là qu’apparaît l’anime. Honnêtement, c’est une grosse plus-value ! Je pense que cette adaptation animée va directement là où le manga devait aller – il arrive à prendre bien plus de distance. Alors, justement, c’est cette même distance qu’il va falloir mettre sur mon jugement – seul le premier épisode est sorti après tout. Paradoxalement, ça rend le personnage plus humain. Le travail de voix est impeccable : la doubleuse est géniale quand il s’agit de moduler sa voix, de faire des inflexions, de faire la kuudere incapable de dire deux mots où de prendre une voix grave et menaçante, quand ce n’est pas creepy. L’anime part sur une adaptation littérale, sans ajouts, juste pour le bonheur du son et de la lumière. Chouette : l’opening et l’ending sont de qualité ! Ils ont bien capté l’esprit du truc, cette espèce de dualité dans le ton et le personnage. D’ailleurs, on a loupé une occase de faire bouger : s’il y avait une occasion de mettre du gros métal qui tâche, c’était pour ça et rien d’autre. Je vais poursuivre ne serait-ce que pour voir si l’auteur a quelque chose de précis derrière la tête.
L’anime est quelque chose qui devrait se suivre. C’est intéressant et c’est parti pour une première saison de 13 épisodes. Le manga, je sais absolument pas quoi en faire, mais je reste fasciné par le perso.
Bref, c’est drôle parce que c’est vrai.
Enfin, c’est moyennement drôle parce que c’est vrai.
C’est malaise parce que c’est vrai.