
L’histoire du samouraï vagabond Kenshin, ancien assassin.
DU MANGA À l’ÉCRAN
Comme depuis plus d’une quinzaine d’années au Japon, les franchises manga/anime à succès se retrouvent adapter au cinéma. Au coeur d’un modèle de production dit média-mix, les éditeurs, les chaînes de télévision, les fabricants de jouets… se réunissent autour d’une table pour faire évoluer des franchises à travers différents médias. Avec l’idée de proposer (d’imposer) aux consommateurs de se replonger dans des univers particuliers. Pourtant souvent dépourvus d’originalité.
Quelque soit le titre adapté, qu’importe le support, l’histoire demeure identique. Il y a bien quelques petites modifications pour faire tenir un récit de plusieurs volumes en seulement quelques heures… Au fond, rien de neuf en vue.
Pire, le cinéma devenant une simple branche d’exploitation du titre, il manque une véritable ampleur cinématographique derrière les adaptations, à la fois au niveau visuel et écriture. De par l’absence de gens issus du cinéma — les grands studios de l’âge d’or encore présents assurent principalement la distribution des oeuvres — et d’un format de production favorisant la création de produits aseptisés — satisfaire les exigences des X partenaires…
Cet état de fait renforce le fossé entre le matériau d’origine, avec des mangakas cherchant (un peu) à jouer avec leur support d’expression pour raconter une histoire, et de l’adaptation live alignant des beaux visages au service d’une machine visuellement fade.
VENT D’AMÉRIQUE
Au milieu d’une industrie dont les chiffres sont, année après année, toujours aussi encourageants malgré le marasme de la production locale — exportation quasi-nulle, difficile renouvellement des talents en dehors de quelques noms déjà établis (Miike, Kawase…) — voilà donc qu’en 2011, la major américaine Warner Bros annonce la mise en chantier d’une adaptation live de Kenshin. Tout comme la France à une époque, la major tient compte d’un marché où les productions locales attirent davantage le public : les films japonais dominent alors à plus de 50% le marché nippon, laissant peu de place pour les productions étrangères.
La présence d’une major américaine a de quoi intriguer, précisément dans ce contexte d’aseptisation où les séries TV deviennent des téléfilms de cinéma qui cartonnent. La Warner, c’est la possibilité (l’espoir) de bousculer certaines règles de la production japonaise, de jouer avec les règles pour produire, peut-être, de véritables films.
Et, la major affichait son ambition à créer un évènement. Ainsi, lorsque la première bande-annonce de Kenshin est arrivée en ligne courant 2012, la Warner proposait une vidéo ciblant différents marchés, dont la France, avec des sous-titres Français. Une approche qui sera renouvelée pour chaque nouvelle bande-annonce de la trilogie, et qui, ironiquement, sera peu partagée en ligne sur des sites dédiés (dont les sources sont soit japonaises, soit anglo-saxonnes). De l’ambition, pour des films qui restent inédits… en France. Et cartonnent au box-office Japonais.

Kenshin en mode peinard !
BIS REPETITA
Si le résultat final de cette trilogie n’évite pas un rendu virant parfois à la convention cosplay, il est à noter la volonté d’avoir donné un brin d’ampleur visuel aux aventures de Kenshin. Le samouraï sans maître vagabondant sur les routes de l’ère Meiji est ici incarné par le talent Takeru Sato qui, à défaut de charisme, arrive à faire exister son personnage, notamment lors des scènes d’action — sa pose, son regard, son visage androgyne… Reprenant les particularités mêmes du personnage, dont le style de combat.
D’une façon générale, la moindre scène d’action assure pleinement son spectacle, avec un Kenshin toujours aussi tourmenté par ses démons, contraint à se défendre sans basculer dans son état d’assassin implacable. C’est des scènes dynamiques, avec un sabre à lame retournée fouettant violemment les adversaires au rythme incroyable d’un Kenshin rapide et précis. Et en dehors de quelques petits ennemis, Kenshin fait face à une galerie de personnages de haute volée, avec en tête, le fameux Shishio (incarné par un Tatsuya Fujiwara en forme). L’ensemble culmine lors d’un combat final de plus de 30 min.

L’Enfer selon Shishio Makoto
SAMOURAÏ EN PLASTIQUE
Le plaisir de retrouver à l’écran des combats entre samouraïs est largement entaché par un récit catastrophique. La trilogie conserve l’héritage des adaptations live en proposant une énième variation du même récit, entre un premier volet moyennement convainquant — l’introduction (Rurouni Kenshin (2012), la présentation de l’univers de Kenshin — et une suite potentiellement plus excitante (Rurouni Kenshin: Kyoto Inferno & The Legend Ends (2014)— l’arc avec Shishio reste le coeur mémorable de la série originale.
C’est toujours la même histoire, passée ici sous le rouleau compresseur de la fadeur des productions japonaises commerciales. À savoir l’incapacité chronique à raconter une histoire visuellement, et préférer aligner des tunnels de dialogues chiants surexpliquant les enjeux. Certains personnages, déjà exaspérants dans l’anime (Kaoru, au hasard), redéfinissent la notion de boulet, en répétant toujours les mêmes bons sentiments à longueur de film.
Et c’est quand le film revient sur la structure originale de l’histoire, à savoir le côté mini-boss, boss… que l’ensemble commence à décoller, zappant les blablas interminables pour proposer un spectacle détonnant qui met le sourire aux lèvres. Problème, ça se résume aux 30 dernières minutes de la trilogie.Manque d’ampleur et d’intérêt sur une majorité des films, cette approche affecte aussi l’impact des combats. Des rencontres passionnantes se montrent au final superficielles, à l’exemple du fight contre le jeune Sojiro, où l’action devenait psychologique dans le récit d’origine. Ici, il reste une chorégraphie dynamique noyée au milieu d’un climax. À côté, il y a bien certains changements qui parviennent à maintenir l’intérêt — le combat final, qui met l’accent sur un spectacle explosif en évacuant le duel pur tant attendu (tout comme la garde personnelle de Shishio, sans réelle importance au final). Zéro substance, le sourire fait place à la frustration.
POUR FINIR
Il manque à ce spectacle la force d’un récit bien raconté, condensé et clair dans ses intentions. En l’état, le film s’endort dans des passages dialogués insipides, rallongeant la durée pour rester fidèle au déroulement d’origine — il faudra près de 4 heures pour couvrir l’arc Shishio Makoto. C’est vouloir coller au matériau d’origine sans être capable d’assurer un travail d’adaptation pertinent sur la durée. Le film d’animation Trust & Betrayal conserve son trône, abordant avec subtilité et poésie l’univers de Kenshin, loin du cabotinage à tous les niveaux de cette adaptation live schizophrène (musicalement atroce). Et la réussite au box-office japonais semble déjà inspirer de futures adaptations, ainsi Attack on Titans se divisera en deux films qui sortiront en Août puis Septembre de la même année. Effet Kenshin en perspective ?